Quelles solutions technologiques pour défendre la liberté d’informer ? C’est à cette question que nous avons tenté de répondre lors de la première table ronde organisée par Nothing2Hide. C’était vendredi 13 octobre. Voici le replay et voici ce qu’on vous propose de retenir de ce riche moment d’échanges.
Nous avons eu le plaisir de partager l’expérience de quatre de nos partenaires sur leurs besoins dans des zones où cette liberté est en péril.
En Ukraine, la protection de celles et ceux en zones occupée
Angela Gramada était venue spécialement de Roumanie pour présenter la résidence Yak Vdoma créée par CFI et qui accueille des journalistes, essentiellement ukrainiens, à Bucarest. Ces journalistes ont alors jusqu’à six mois pour mener leurs projets, de l’enquête au livre, dans un contexte de vie plus serein.
Question sécurité numérique, leurs besoins sont multiples :
- Les journalistes ukrainiens, afin de collecter et transmettre des informations, doivent user d’ingéniosité et se former pour ne pas se mettre en danger, mais surtout ne pas mettre en danger les personnes, notamment celles qui vivent dans les zones occupées par les Russes en Ukraine, qui leur fournissent les informations et ceux qui les diffusent.
- Il est par exemple difficile de convaincre les journalistes mais surtout celles et ceux avec qui ils échangent de ne plus utiliser Telegram, une application pas si sécurisée, qui est pourtant la référence dans ce secteur géographique.
- Leurs besoins sont également matériels. La sécurité numérique, c’est aussi utiliser des lieux de stockage en ligne, pour ne pas laisser sur du matériel saisissable des informations sensibles. Angela nous a fait part de l’expérience d’une journaliste qui a mis six jours à rejoindre la zone non occupée. Pour amener avec elle son travail, elle a vidé ordinateur et téléphone, a tout stocké sur un cloud, et a pu tout récupérer en zone non occupée. Une riche idée vu le nombre de barrages policiers qu’elle a dû traverser.
En Afghanistan, entre ondes courtes et adaptabilité
En Afghanistan, Radio for Peace International (RFPI) permet la diffusion de programmes radiophoniques en ondes courtes. Les ondes courtes signifient deux choses : que le lieu d’émission peut se situer à des milliers de kilomètres et qu’il est très difficile de brouiller les émissions.
Les journalistes qui font partie de ce projet doivent cependant pour leur sécurité et celles de leurs sources communiquer de manière sécurisée.
Le défi en Afghanistan n’est pas d’amener les personnes à changer leurs habitudes en utilisant de nouveaux outils, car depuis toujours ces personnes, au vue du contexte, ont appris à s’adapter. Rien n’est stable ici. Le plus dur, c’est l’accès à Internet.
Sylvain Clament, président de RFPI
Nous avons pu échanger avec lui de l’importance d’échanger et transmettre des informations avec des messageries chiffrées : Protonmail, Element et Signal par exemple.
Au Kirghizistan, la stratégie de la rapidité pour la protection des militants et citoyens
En Asie Centrale et plus précisément au Kirghizistan, notre partenaire Internet Society Kyrgyzstan Chapter (ISOC) a créé Tech4Society, un programme d’assistance numérique d’urgence. Il est dérivé du nôtre, Tech4Press, à destination des journalistes. Dans cette région, nombreux sont les militants et autres acteurs de la société civile à être surveillés, menacés voire emprisonnés. Ils peuvent faire appel à Tech4Society pour une réponse rapide. L’un des cas emblématique de Tech4Society fut par exemple l’analyse de disques durs d’un journaliste Kirghize.
En RDC, le VPN comme réponse à la censure
En République démocratique du Congo (RDC), la liberté d’information est d’autant plus menacée lors des élections, qui cristallisent les tensions. Lors des deux dernières, 2016 et 2018, il y a eu plusieurs coupures (jusqu’à deux semaines) et notamment pour contrôler l’accès aux réseaux sociaux, l’un des principaux moyens de s’informer, quand les manifestations dans la rue ont pris de l’ampleur. Akilimali Saleh Chomachoma, journaliste et membre du collectif Blogoma explique les objectifs d’une telle action : “empêcher les personnes de se retrouver pour manifester”, “empêcher la diffusion d’informations sur les actions (voire bavures) policières”, et “faire peur en montrant aux citoyens que l’Etat contrôle Internet”. Ces préoccupations sont au cœur de l’actualité puisque la prochaine élection présidentielle a lieu le 20 décembre.
Il nous a aussi fait part des solutions possibles pour contourner cette censure :
- L’utilisation pour les habitants aux frontières d’utiliser les réseaux des pays voisins, une méthode bien sûr limitée.
- Surtout, l’utilisation de VPN, qui permet d’accéder aux réseaux sociaux
- Piguard, un outil de contournement de la censure plug & play, dont on vous dit tout ici.
Cette table-ronde, ce fut l’occasion de rappeler que la sécurité numérique a de multiples facettes. Elle prend diverses formes selon le contexte, les besoins mais beaucoup aussi selon les habitudes.
Encore un grand merci à Angela Gramada, Nurbek Arzymbaev, Akilimali Saleh Chomachoma et Sylvain Clament de nous avoir apporté un éclairage sur cette épineuse question.