Ces deux sociétés vivent pourtant de l’exploitation des données personnelles de leurs utilisateurs, au mépris de leurs vies privées et de leurs libertés. Ce ne sont des acteurs sains ni pour Internet ni pour la démocratie. Aral Balkan, activiste et développeur, pointe dans son billet au titre ironique les contradictions et l’hypocrisie de ces organisations. Ce billet traduit en grande partie ce que nous pensons chez Nothing2Hide. Nous en publions une traduction française ici.
Traduction du billet I was wrong about Google and Facebook: there’s nothing wrong with them (so say we all) publié par Aral Balkan.
Je me suis trompé sur Google et Facebook, il n’y a aucun problème avec eux (c’est ce que nous disons tous)
C’est toujours difficile d’admettre qu’on se trompe. Mais parfois, c’est exactement ce que que nous devons faire lorsqu’on est confronté à l’évidence. Alors aujourd’hui, j’ai admis que je m’étais trompé au sujet de Google, Facebook et plus généralement sur le capitalisme de surveillance, soit disant toxique pour les droits humains et la démocratie.
Vous voyez, ça ne peut simplement pas être vrai sachant que ces deux sociétés sont soutenues par certaines organisation parmi les plus respectées dans le monde. Tout indique que Google et Facebook sont des acteurs sains qui ne sont en rien une menace pour notre vie privée.
FSF et la Software Freedom Conservancy
La conférence CopyLeftConf 2019 vous est offerte par Google, Microsoft et la FSF
La Free Software Foundation (FSF) est la principale organisation de défense du logiciel libre. La Software Freedom Conservancy « est une organisation à but non lucratif qui promeut, améliore, développe et défend les projets libres et open source (FLOSS) ». Ce mois-ci, la Software Freedom Conservancy organise la première conférence internationale Copyleft sponsorisée par Google, Microsoft et la FSF.
En fait, Google est une telle force pour le bien dans le monde qu’elle est autorisée à sponsoriser une conférence Copyleft alors même que ces licences sont bannies au sein de la compagnie.
Si même la FSF n’a aucun problème avec le fait d’avoir son logo juste à côté de celui de Google et Microsoft, qui suis-je pour critiquer ces sociétés ?
Comment pourrais-je blâmer le moindre responsable qui me ferait remarquer « Aral, tu es un peu mélodramatique avec ces sociétés, n’est-ce pas ? ». Ils ont raison. Je dois certainement l’être. Qu’est-ce que j’essaye de faire ? Ringardiser Stallman ? Quelle folie !
Mozilla
Firefox défend votre vie privée. C’est pour cette raison que Google est leur moteur de recherche par défaut.
Mozilla est une fondation à but non lucratif très lucrative dont la mission est de s’assurer « qu’Internet demeure une ressource publique, ouverte et accessible à tous. Un Internet qui défende le bien commun, où les individus ont un impact, sont en sécurité et sont indépendants. »
Mozilla n’a aucun problème avec Google, elle s’associe souvent avec eux et utilise même Google Analytics.
Si une fondation aussi honnête et éthique qui a tellement à cœur de protéger notre vie privée n’a aucun problème avec le fait d’avoir Google comme moteur de recherche principal ou de recevoir des millions de dollars de leur part, qui suis-je pour critiquer Google sur la vie privée ?
Apple
Les périphériques d’Apple protègent votre vie privée. Google est le moteur de recherche par défaut dans leur navigateur. Google doit donc certainement protéger votre vie privée (Photo: Chris Velazco, Engadget)
Le modèle économique d’Apple est de vendre des produits aux gens. Ils sont fiers que cela les distingue des sociétés qui vendent des gens aux gens. Ainsi que leur gigantesque publicité au CES, de la taille d’un immeuble, l’exprime : « Ce qui se passe dans votre iPhone reste dans votre iPhone ».
Ainsi qu’ils l’écrivent sur leur page dédiée à la vie privée :
Nous pensons que le respect de la vie privée est un droit fondamental.
(…) Chaque produit Apple est pensé de A à Z pour protéger ces informations. Et pour vous donner les moyens de choisir ce que vous partagez, et avec qui.
Le CEO d’APPLE, Tim Cook, a personnellement approuvé cet engagement pour la vie privée et c’est pourquoi Apple a intégré Google comme moteur de recherche par défaut dans leur navigateur, c’est aussi pourquoi ils ne crachent pas non plus sur les 12 milliards de dollars de revenus que cet accord leur apporte. Parce que Google est tout comme Apple et a construit ses produits pour protéger notre vie privée. Pour quelle autre raison Apple autoriserait leur présence sur ses smartphones et mettrait en danger notre vie privée ?
Si Tim Cook est content d’avoir Google dans son iPhone alors il doit certainement y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond chez moi.
GNOME
GNOME simplifie l’utilisation de Gmail. Si vous utilisez Fastmail, vous avez un peu plus de travail.
Si Apple est un exemple trop commercial pour vous, alors il y a GNOME, un projet porté par l’organisation à but non lucratif Fondation Gnome. Ils développent un environnement graphique ergonomique et populaire pour systèmes Unix Linux.
GNOME ne voit aucun problème avec Google. En fait, Google siège à leur conseil d’administration et les application sur GNOME offrent un support de première classe aux applications Google.
Par exemple, le client mail Geary propose Gmail en premier comme service à configurer dans l’application et rend absolument trivial son intégration, beaucoup plus facile que de configurer un compte IMAP générique.
Si Gmail était mauvais pour la vie privée, si par exemple, Google lisait tous vos messages et les utilisait pour créer un profil marketing (je sais, voilà que je recommence avec mes théories du complot à la noix) alors la fondation GNOME n’en ferait certainement pas la promotion dans ses logiciels.
Si ils étaient obligés de supporter Gmail juste parce que c’est un service populaire mais détestaient le faire, ils afficheraient un message d’avertissement pour vous protéger. Quelque chose comme « Lorsque vous utilisez Gmail, Google Inc. utilise le contenu de vos messages pour vous profiler. Ne continuez que si vous en comprenez les dangers ». Mais ils ne le font pas. Au contraire, ils le mettent en premier et rendent sa configuration aussi simple que possible donc utiliser Gmail ne doit pas poser de problèmes.
En fait, je pense que nous devrions commencer à nous poser des questions sur certains autres fournisseurs de messageries électroniques qui affirment ne pas vous espionner. Comme Fastmail, le service que j’utilise.
Mon fork pour Geary en tant que citoyen. C’est sûrement parce que je dois être un communiste
Quand j’ai ajouté le support de Fastmail dans Geary, mes changements on été refusés. Si FastMail était un fournisseur de messageries éthique, je suis certain que ça n’aurait pas été le cas. Je ne doute pas que l’équipe aurait promu un service de messagerie éthique plutôt qu’un service non éthique qui lit les messages des gens et les profile.
Désormais je m’inquiète et je me demande ce que les gens de GNOME connaissent de FastMail que moi je ne connais pas. Qu’est-ce donc que les gens sournois de Fastmail sont en train de nous préparer ?
Nordic Privacy Arena
Nous avons appris à faire une publicité sur Facebook à la présentation Facebook à la Nordic Privacy Arena. Je ne suis pas assez intelligent pour l’apprécier à sa juste valeur.
La Nordic Privacy Arena est un événement annuel réunissant des délégués généraux de la protection des données et des professionnels de la vie privée. Lors de l’édition de cette année, Facebook a fait une présentation et les organisateurs m’ont demandé d’être gentil avec Facebook et Google, de garder mes remarques pour ma propre présentation et de ne pas embarrasser l’orateur avec des questions après sa présentation comme j’avais pu le faire lors de la session de Mozilla.
Ils avaient tellement raison ! À quoi pouvais-je bien penser ? Heureusement, ils ont coupé mes questions de la vidéo de présentation de Mozilla de manière à ce que vous ne soyez pas incommodé par mes théories conspirationnistes radicales, qui veulent que lorsque vous recevez des centaines de millions de dollars d’une entreprise, vous n’allez peut-être pas aller à l’encontre des intérêts de cette dernière.
Je tiens à m’excuser humblement pour avoir été un pauvre petit trou du cul. Après tout, si les délégués à la données et les professionnels de la vie privée organisant et assistant à cet événement ne voient aucun problème avec Facebook et Google, qui suis-je pour ne pas être d’accord ? Ces gens font tout pour protéger notre vie privée en ligne. Ils ont certainement les meilleures intentions du monde et maîtrisent suffisamment bien leur métier pour savoir exactement ce qu’ils font lorsqu’ils invitent Google à faire une présentation lors de leur prochaine édition.
Par ailleurs, la présentation Facebook était assurée par Nicolas de Bouville, qui officiait précédemment à la CNIL, une organisation connue pour ses fabuleux pantouflages. Donc, si Nicolas a choisi de travailler pour Facebook après son passage à la CNIL, Facebook ne peut pas être si mauvais.
Il n’y a pas que la Nordic Privacy Arena. La RightsCon organisée par AccessNow n’a aucun problème avec Google ou Facebook. Ainsi que l’atteste leur site Web :
La RightsCon est la plus grande conférence sur les droits humains à l’âge du numérique, sponsorisée par Access Now. Le RightsCon est une opportunité parfaite pour les organisations et les entreprises de générer de la visibilité, d’afficher sa bonne volonté et de croître. Donc quand vous réfléchissez à investir dans le RightsCon, rappelez-vous que le sponsoring peut impacter positivement votre organisation et votre business en démontrant votre capacité à vous comporter en leader, à construire une marque, une communauté et bien plus encore.
Ni même la Amsterdam Privacy week. Ou la CPDP. Ou le Fosdem.
Non, c’est évident. Ça doit être moi. Je dois me tromper. C’est la seule conclusion qui s’impose face à cette avalanche de preuves.
La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, la surveillance c’est la vie privée
À la lumière de ces soutiens massifs au capitalisme de surveillance de la part d’organisations respectueuses, qui disent œuvrer à la protection de nos droits humains, de notre vie privée et de la démocratie, j’en suis venu à la conclusion que je devais être le seul à être dans l’erreur.
Si Google, Facebook, etc., n’étaient qu’à moitié aussi nuisibles que ce pour quoi je les fais passer, ces organisations ne passeraient pas d’accords avec eux, elles ne les soutiendraient pas non plus.
Je tiens à m’excuser d’être un tel rabat-joie et je voudrais profiter de l’occasion qui m’est offerte pour remercier la FSF, la Free Software Conservancy, Mozilla, Apple, The Nordic Privacy Arena, AccessNow, RightsCon, Amsterdam Privacy Week, CPDP, et GNOME pour m’avoir fait prendre conscience de mes erreurs. Je sais à présent – grâce à leur autorité morale sur ce sujet, qu’il est tout à fait acceptable pour des personnes œuvrant à protéger les droits humains et la démocratie d’accepter des millions et milliards de la part d’entreprises comme Google et Facebook et de nouer des partenariats avec elles.
Je dois l’avouer : je me sens un peu idiot. Ces cinq dernières année auraient été beaucoup plus simples si je l’avais compris plus tôt.
Je vous souhaite à tous un monde rempli de liberté sponsorisée par Google, de vie privée sponsorisée par Facebook et de démocratie sponsorisée par Palantir.
Et, si pour une quelconque raison, ce n’est pas le monde dans lequel vous souhaitez vivre, alors il est peut-être temps pour certaines organisations de prendre une putain de position. Commencez par appeler les capitalistes de la surveillance « capitalistes de la surveillance ». Dites non à leur argent. Et arrêtez de légitimer ces bâtards.