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À l’UNESCO : le Darknet, l’arme du crime

Jeudi 14 septembre avait lieu une conférence sur le Darknet organisée par l’UNESCO. Nous y sommes allés et avons été pour le moins surpris du discours tenu au sein de l’enceinte de cette prestigieuse organisation .

Un peu de contexte tout d’abord. L’UNESCO est une institution internationale qui dépend de l’ONU et dont le mandat est de :

(…) contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations Unies reconnaît à tous les peuples.

Une conférence orientée

Après trois présentations d’experts qui expliquaient à l’aide de la métaphore de l’iceberg la différence entre le surface web, le deep web et le darknet, nous n’avions toujours pas entendu le moindre témoignage sur autre chose que le darknet comme outil maléfique aux mains de dangereux criminels : vente d’armes, drogues, pornographie (qui n’est certainement pas l’apanage du seul darknet), pédophilie, tout y est passé. Par contre sur le darknet comme outil de lutte contre la censure, de protection des journalistes, de leurs sources, des lanceurs d’alertes, de la vie privée, rien.

Dans le genre énormité, on a pu entendre ceci dans la bouche d’un expert (la rage et la frustration nous ont fait faire des fôtes d’accord élémentaires):

Il faut avouer que l’UNESCO avait donné la couleur avec le titre de sa conférence : « UNESCO International Conference on the DarkNet, the dark side of the Net ». L’introduction de la note descriptive était elle aussi assez claire :

Entitled “DarkNet: the New Societal, Legal, Technological and Ethical Challenges”, this meeting will explore themes such as the dangers of an underground internet accessed anonymously; potential strategies for avoiding the negative consequences of this system which can be used as a platform for violence extremism; as well as the technical and legal implications of this parallel internet.

À noter cependant l’intervention très équilibrée de Nicolas Arpagian, seul intervenant à avoir tenu un discours neutre sur le darknet en expliquant que si cet outil existait c’est qu’il répondait à une demande et qu’il ne fallait pas mettre sur le dos d’une technologie les crimes et délits qui sont commis avec.

Shit sandwich

Après un tel feu d’artifice, nous attendions avec impatience la séance de questions réponse et avions préparé à cet effet une question en forme de shit sandwich.

Dans un esprit de collaboration et en toute ingénuité, après nous être avec délice présentés comme une organisation qui préconise l’utilisation du darknet auprès de militants, journalistes et citoyens, nous avons lâché notre shit sandwich.

Le pain, première tranche

nous avons salué l’initiative de l’UNESCO qui hébergeait pour la première fois une conférence sur ce sujet.

Le caca au milieu

nous avons par la suite vivement déploré le fait que le panel était quand même loin d’être équilibré. Et c’est une litote. Pas une seule organisation de défense des droits de l’homme, pas un seul journaliste, bref pas un seul « bénéficiaire légitime » de l’anonymat et de la protection que peut procurer le darknet.

Le pain, deuxième tranche

Mais bel initiative, franchement, bravo l’UNESCO.

Pédagogie par la peur

Comme nous ne sommes pas des sauvages, nous sommes allés saluer les intervenants à la fin de la conférence. Nous rapportons ici la conversation que nous avons eu avec l’un des organisateurs :

Bonjour je suis Grégoire de Nothing2Hide

Oui, mes collègues m’ont fait suivre vos tweets pendant la conférence. Mais c’est bien, vous avez quand même dit dans votre intervention que c’était intéressant que l’UNESCO organise une conférence sur le darknet

Oui, mais comme je l’exprimais dans ma question, ça manquait un peu d’équilibre et au vu des questions des autres personnes du public, on peut dire que cette conférence a plutôt fait peur qu’autre chose (questions du genre : comment me protéger contre le vol d’identité, pourquoi plus de pédophiles ne sont pas arrêtés etc.)

Il faut marquer les esprits

Par la peur ? Vous croyez à la pédagogie par la peur ?

Non mais vous savez, ce n’est pas facile d’organiser une conférence sur ce sujet à l’UNESCO, il faut marquer les esprits ! Regardez ! me dit-il en me montrant la photo des documents de la conférence avec ce que j’ai pris pour un éclair de fierté dans les yeux

Nous lui avons donné les coordonnées de Nothing2Hide en lui disant que s’il organisait à nouveau une conférence sur le sujet qu’il n’hésite pas à nous solliciter pour parler des autres aspects du darknet. Nous avons la possibilité de contacter des membres du projet Tor, I2P ainsi que des utilisateurs autres que les seuls pédophiles et trafiquants d’armes qui ont l’air de peupler le darknet dans l’esprit de l’UNESCO.

Un parti pris difficilement compréhensible

Il est quand même très surprenant qu’une institution telle que l’UNESCO, qui publie aussi des guides sur la protection des journalistes puisse organiser une conférence peu équilibrée complètement biaisée. Héberger une conférence sur le darknet et n’aborder que les aspects criminels liés à cet outil (car on ne peut nier qu’ils existent) revient exactement au même que faire une conférence sur le marteau au travers des âges et sur tous les criminels qui en ont utilisé un pour tuer quelqu’un, en invitant des criminologues, des enquêteurs mais pas un seul bricoleur pour expliquer qu’avec un marteau on peut aussi planter des clous et construire des cabanes. C’est partisan et ça ne fait pas avancer le débat. Ou alors si, dans le mauvais sens.

Donc oui, on a un peu trollé, on ne se fera peut être plus inviter, mais on s’en fout, on est militants, on ne pouvait pas laisser passer ça. On espère que vous non plus.

Enfin, si vous voulez entendre un discours informé sur le darknet, plutôt que d’assister à des conférences qui brassent les clichés les plus idiots sur le sujet – qui plus est dans l’enceinte d’une organisation internationale dont l’une des missions est l’éducation (double lol) – je vous invite à regarder celle de Jean-Philippe Rennard, professeur à l’université de Grenoble :